Information du : 12/05/2024

Mon pire ennemi : rencontres avec Mehran Tamadon

Il y a bientôt 10 ans, nous recevions dans les salles du réseau le réalisateur d'origine iranienne Mehran Tamadon. Nous aurons le plaisir de le retrouver du 2 au 5 juin avec son nouveau documentaire, Mon pire ennemi, film d'une force rare porté par l'éblouissante présence de l'actrice Zar Amir Ebrahimi (prix d'interprétation à Cannes) qui s'embarque à ses côtés dans une exploration sans fard de la mécanique totaliraire.

Mojtaba, Hamzeh, Zar et d’autres ont subi des interrogatoires idéologiques en Iran et vivent aujourd’hui en France. Mehran Tamadon, le réalisateur, leur demande de l’interroger, lui, tel que pourrait le faire un agent de la République Islamique. Le film en devenir se rêve en miroir dressé face aux tortionnaires, révélant leur violence, leur arbitraire et leur absurdité. Mais lorsque Zar Amir Ebrahimi et Mehran Tamadon se prêtent à l’exercice, ni l’un ni l’autre ne semblent plus tout à fait maitriser les rôles qu’ils ont choisi d’endosser, jusqu’à se mettre en danger, ainsi que le projet de film.

En 2010, Mehran Tamadon s’entretient dans Bassidji avec des hommes chargés de la sécurité intérieure et extérieure de l’Iran. Avec Iranien, en 2014, c’est avec quatre mollah qu’il engage la discussion. Dix ans plus tard, le cinéaste est interdit de séjour en Iran mais il reste porté par l’espoir de pouvoir retourner dans son pays afin de poursuivre le dialogue avec le régime et les autorités religieuses.

C’est de cet empêchement que naît Mon pire ennemi (et son film jumeau Là où Dieu n’est pas) dont le dispositif formel troublant consiste à demander à des personnes qui ont subi des interrogatoires en Iran de les reproduire minutieusement. Plus dérangeant encore, il leur est demandé de jouer les bourreaux – car il s’agit de véritables séances de torture – tandis que lui se glisse dans la peau de l’interrogé.

Le réalisateur imagine ainsi se préparer à une tentative de retour en Iran en anticipant ce qui peut lui arriver, les questions qu’on ne manquera pas de lui poser, s’imaginant qu’en connaissant les mécanismes d’interrogatoires il pourra trouver une manière de les affronter. Sa deuxième idée est d’utiliser le film et de parvenir à le montrer aux agents de la République islamique, avec toujours ce même espoir d’engager un dialogue avec eux.

Ce faisant, Mehran Tamadon nous propose un film profondément dérangeant qui interroge, au-delà du seul cas de l’Iran, comment se fabriquent les bourreaux. Le dispositif nous oblige à nous demander comment nous réagirions, ce que l’on serait capable d’accepter et surtout de faire pour échapper à la torture.

Le sel du cinéma de Tamadon, c’est une forme de naïveté non feinte, le cinéaste croyant dur comme fer au fait que l’humanité persiste toujours quelque part. C’est aussi un cinéaste sans certitude, qui questionne sans cesse ses propres procédés, jusqu’à afficher dans son film les limites même du dispositif qu’il a mis en place. Terrifiant, profond mais aussi par endroits étrangement ludique, Mon pire ennemi est un film qui remue en profondeur et qui nous questionne autant qu’il questionne le fonctionnement du régime iranien et de toutes les dictatures.

Dans la presse :

"Mon pire ennemi est, tout comme son actrice principale, fascinant et intense. Il laisse son spectateur complètement sonné." Culturopoing

" Tandis qu'elle malmène verbalement le réalisateur et l'asperge d'eau froide, la comédienne énonce la critique de son projet : "Est-ce qu'au nom du cinéma, on a le droit de faire souffrir les gens ?" et s'empare du film pour raconter son propre drame. " Télérama

" Un documentaire époustouflant qui échappe à tout conformisme de la pensée. " àVoiràLire

" Le film recourt à une sorte de remémoration corporelle et comportementale des personnages. Deux hommes et une femme témoignent ici à partir d’expériences et dans des registres sensiblement différents, suscitant à chaque fois une saisissante émotion. " Le Monde

" Tourné avant le mouvement Femme, Vie, Liberté, Mon pire ennemi (...) en incarne l’échec et l’insoutenable colère qui, si elle gagnait tout le peuple iranien face à la folie intégriste, porterait ses fruits plus que n’importe quel film contestataire. " L'Obs

" S’il pose la question de la violence, Mon pire ennemi la fait valoir comme une donnée interne à son propre tournage et interroge sa double direction : qui exerce au juste une violence envers qui ? Tour ultime du dispositif : le film se mue en procès de Tamadon qui se montre comme victime tout en faisant souffrir les autres au nom du cinéma. " Les Cahiers du cinéma

" Au-delà de la morale, de la bienséance et du simulacre, l’enjeu véritable du film peut réellement se matérialiser à l’écran : comment, en effet, filmer la torture politique sans interroger la violence symbolique exercée par la caméra ? L’interrogatoire mené par Zar Amir Ebrahimi est une grande leçon de cinéma, marquée au fer rouge dans la rétine : un documentariste peut aussi être son pire ennemi. " Transfuge

« Mon pire ennemi est de ces œuvres inclassables qui brisent la frontière des genres. Si le documentaire expose une vérité connue, les instants d’interrogatoire, mis en scène et improvisés sous nos yeux, brouillent les pistes et font éclater la limite entre fiction et réalité. Ainsi, l’actrice Zar Amir-Ebrajimi, lauréate de la palme de la meilleure actrice au Festival de Cannes 2022 pour le film «Les Nuits de Mashhad», semble se perdre totalement dans son personnage. l’actrice entremêle sa personnalité et celle de son personnage. L’interrogatoire devient plus personnel. «Pourquoi faire ce film ?» souffle-t-elle. En effet, quel pouvoir possède le réalisateur face à une inhumanité encouragée par l’État ? Qu’attend-il de tout cela ? Une interrogation sur la nature humaine qui se fait universelle et laisse le public bouleversé. » Cineman

MON PIRE ENNEMI

Un film de Mehran Tamadon
France – 2023 – 1h22
Soutien GNCR

L'INVITÉ :
MEHRAN TAMADON

Après des études d’architecture à Paris, Mehran Tamadon décide de se consacrer à la réalisation. Il réalise son premier moyen-métrage documentaire, Behesht Zahra, mères de martyrs en 2004, puis Bassidji en 2010, où il filme ses premières tentatives de dialogue avec les défenseurs du régime iranien. Il poursuit cette démarche avec Iranien (2014), où il convainc des partisans du régime de vivre en cohabitation avec lui. Ses nouveaux films, Mon pire ennemi et Là où Dieu n’est pas, présentés à la Berlinale en 2023, abordent la violence des interrogatoires et des détentions en Iran.

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